À la première séance de notre atelier artistique intitulé Initiation aux musiques africaines : temps et rythmes, il nous fut donné le plaisir de visionner cette vidéo FOLI de Thomas Roebers et Floris Leeuwenberg. Elle m’a inspiré ce texte qui soutient que la démocratie retrouve sa représentation la plus parfaite dans la culture africaine. Suivre l’une aidera fortement à comprendre l’autre.
L’arbre succomba.
La carrure de son tombeur prit instantanément des grades ; il cessait d’être minuscule. Ses biceps se détendirent. Deux rayons zigzaguèrent sur son torse, avant de s’aplatir dans la trouée où désormais ils allaient mettre à l’abri leurs ébats. Relevant, non sans fierté, la tête, il aperçut le soleil qui la lui épongea au moyen d'une inondation lumineuse. C’était ce qu’il attendait : l’approbation ; la victoire était honnête. Il s’avança alors vers le vaincu qu’il ne chercha pas à humilier. L’arbre recelait ce qui donnerait la joie à tout le village, duquel d’ailleurs coururent de jeunes hommes dès qu’ils ont entendu son triomphe. Le bûcheron disséqua, puis sectionna, l’arbre et en brandit un tronçon.
Ce tronçon valait tout, sans être tout.
Admettons qu’il était sauvage et laid, bombé comme le dos d’un fainéant. Parcouru par la gueule de la hache, parfois brutale et peu intelligente, son épiderme était fait d’écorchures. Ce qui lui donnait une silhouette cahoteuse. Un art seul saura lui donner sa valeur, ou du moins, une splendeur. Il faut être à même de coincer demain ce matériau entre les cuisses. Il faut se le glisser, caresser ses contours et s’extasier quand on le saisira au bon endroit. Polir le tronçon, le rendre sensuel tel le dos de la femme, ou la nuque d’un homme, voilà pourquoi il se retrouve chez le menuisier. Qui, dans l’espoir ou peut-être le calcul de raffiner son travail, mandera un possédé d’y laisser ses révélations. Mysticisme chez le premier, fresque chez le second. En tout cas, l’éclat de la domestication du tronçon, à travers la collaboration du menuisier et du peintre, montre l’unicité du savoir-faire.
Mais un tronçon, même lisse, reste du bois.
Le bois est par essence sec. Il aurait bien pu créer de la joie, mais pas en répandre. La joie qu’est capable de produire le bois n’est pas mobile. Pour s’en imprégner, il faut se déplacer, contempler l’œuvre dont il est matière et envier son propriétaire. Bref, ce bois est luxe. Et l’œuvre qui ne sait pas être équitable manque simplement de richesse. Le tanneur, lui, tient à la plénitude de la richesse. C’est pourquoi, s’il s’est réjoui de voir le boucher abattre la bête, sa femme la cuisiner, sa préférence reste la peau qui peut faire un tapis, des chaussures, un sac.
Mais convenons, que ceci contredirait son concours qui est de faire profiter tous des sacrifices déjà fournis. Le bien ne fuyant pas le bien, il demeura sur le même principe: la combinaison. Il s’appliqua à raser une peau, dans la ferveur qui guide nos doigts quand c’est la tête du père on coiffe. Son odeur désagréable, embêtante comme la canicule chez le bûcheron ou la poussière dans l’atelier du menuisier, ne saurait amortir sa volonté de poursuivre la quête commune. Apres avoir humanisé le tronçon, il faut l’introniser. La peau tannée, luisante et pincée dans le bois (au moyen des bâtonnets et anneaux passés sous l’enclume et à la flamme) ceindra sa partie supérieure. Le moindre mouvement sur cette surface donne un son. Qui contraste. Qui s’amplifie. Qui se répand.
Ainsi, est-on dans le rythme. Ainsi, s’achève la confection du djembé.
Chaque contributeur s’enorgueillit de sa touche à laquelle il attribue la perfection d’une telle œuvre. Sans oser le dire. À côté de celle-ci considérable, il y’a en effet eu un plus. Un plus non négligeable. Un plus déterminant. Qui fait découvrir à chacun son savoir-faire. Qui plaide pour le mérite de tous. Car dans la confection du djembé, c’est à l’unisson qu’on met le cœur à la tâche. Si les yeux voient le bûcheron terrasser le géant arbre, l’intelligence sait que la source de sa force n’est pas en lui : il se surpasse pour mériter de l’investissement des femmes qui donnent le courage à tout pouce de bouger ; de la loyauté du menuisier, peintre, forgeron, qui ne désire pas assoupir l’élan collectif ; de la vigilance des Anciens qui entendent s’assurer d’avoir bien transmis leurs sciences ; de la curiosité des bambins qui supervise les moindres gestes. C’est tous qui font le djembé ; c’est pour eux le djembé.
Quand le djembé retentira, l’allégresse sera à la portée de la communauté.
L’armée des batteurs se mettra en place. Son appel crispera toute tendance languide. La première baguette projetée par le tambour major est un coucou au Seigneur ; qu’Il Sache que les Hommes savent aussi se prendre en charge et S’en Réjouisse. Coopérant, Il les immunise de l’ardeur du soleil et les déchaîne de toutes préoccupations. C’est une foule qui répond, hétéroclite et agile. Alors on danse! Dans un assaut presque guerrier, c’est la troupe officielle qui inaugure la piste, nombreuse et coordonnée. Chacun se dévoue à décupler la saveur des rythmes, encourageant la sortie de leur guide, qui par des tourniquets en l’air, réitère aux couleurs de la joie les honneurs de ses pairs. Ensuite quelques mouvements accomplis par un de ses suiveurs, et c’est la fin du cérémonial. Le peuple est là. Une hanche de femme qui défie un rein d’homme. Une canne qu’on oublie et des jouets qu’on abandonne. Sans se bousculer ni se piétiner, chacun se trouve son compte. « On est dans le rythme ».
Le djembé a fédéré tous les efforts. Le voilà qui allège toutes les attentes.
Une contribution manquante, la plus infime, l’aurait rendu moins performant. À l’agréable de la récréation dansante, toute confusion, la moindre, aurait réduit un degré de consistance. Dans cette épreuve qu’on retrouve dans la culture africaine, il est question de contribution, d’humilité et de communautaire. Il se trouve que ces critères qui ont sous-tendu la confection du djembé et gratifié le folklore équivalent dans le langage contemporain au devoir, à la collaboration et à l’égalité défendus par un système qu’on appelle démocratie. Celle-ci qu’on soupçonne d’être pour l’Afrique un luxe ou que des Africains disent inappropriée à ses réalités y trouve, depuis les temps immémoriaux, ses bases. Toute la technicité dans ce discours sur la démocratie à notre heure est ou du bavardage ou de l’arnaque.
À présent, permettez-moi, de soutenir : la représentation la plus parfaite de la démocratie se retrouve dans la culture africaine. Et sans doute, dans le rythme.
Je crois déjà que ce module ne me déplaira pas.
Photo de couverture : © Thomas Roebers et Floris Leeuwenberg
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