Point d'affolement

Dernière mise à jour : 8 nov. 2023

Je n’aurai pas eu à me plaindre auprès du Bon Dieu de n’avoir pas doté le Sénégal de précieuses ressources naturelles. D’« importantes découvertes de pétrole et de gaz » ont été confirmées par le Chef de notre État dans le traditionnel discours à la Nation du 03 avril 2016. Les réactions ne se sont pas faites attendre et, chose tout à fait normale, sont allées dans tous les sens : des exultations à l’anxiété, d’aucuns affirmant qu’ils auront souhaité que le Sénégal « jamais ne dispose de ces ressources ».

On comprend pourtant très facilement cet extrémisme. Il suffit d’avoir à l’esprit une douteuse périphrase sinistrement célèbre : « la malédiction noire » ; laquelle voudrait que tous les Pays en possession de ressources pétrolières succombent à de désastreux drames environnementaux, à des sous-performances économiques ; à des mauvaises pratiques politiques ; à des guerres meurtrières et des sécessions. Une corrélation, malheureusement, existe pour soutenir pareille périphrase.

Plus profondément, dans la philosophie sociale sénégalaise, la richesse occupe une place très ambiguë. On la convoite ne même temps qu’on a peur d’elle. On redoute sa capacité de corrompre l’Être humain, d’altérer ses vertus ; et, surtout, suppose qu’elle n’arrive jamais sans son lot de malheurs qu’on retrouve dans la notion de musiba. La richesse suscite les envies, les querelles, donc, le pire. Le riche ignore le bonheur de l’apaisement, ce qu’il y a de meilleur en cette vie ; faisant que le moins riche, normalement, ne doit pas se plaindre de son sort : « Ku am jàmm, am lépp » « Qui a la paix ne manque de rien ». Ainsi, parce que la richesse est défavorable à la paix, pour certains, ces gisements découverts risquent de faire plus de mal à notre Pays que de bien.

Il ressort que, d’une certaine façon, notre vision de la richesse est à forte coloration pessimiste. Je l’aurais embrassée sans réserve si d’un autre côté, il n’apparaissait pas que ces ressources découvertes peuvent nous être de bénéfiques opportunités, à condition d’être correctement exploitées.

Cela requiert une précaution sur la place à accorder à ces ressources dont, d’ailleurs, nous ignorons les exactes quantités. Les informations communiquées par Cairn Energy (1), Kosmos Energy (2) et leurs partenaires, dont je ne garantis et ne garantirai pas la fiabilité, avancent les chiffres suivants. Pour le compte du gaz naturel, les réserves du puits de Guembeul-1 (3) seraient de 450 milliards de mètres cubes (janvier 2016) ; tandis que celles du puits de Teranga-1 (4), au large de Cayar, seraient dans l’ordre de 140 milliards de mètres cubes (Mai 2016). Auparavant, depuis 2002, l’Américaine Fortesa Senegal International (5) produit, sur les sites de Gadiaga et de Sadiaratou, du gaz naturel estimé à 41 millions de mètres cubes pour l’année 2013 (6). S’agissant du pétrole lui-même, un premier puits appelé FAN-1 a été annoncé avec un potentiel allant de 250 millions à 2,5 milliards de barils (octobre 2014) ; suivi de SNE-1 dont les réserves seraient de 150 millions de barils (décembre 2014). Les résultats publiés sur le potentiel des puits SNE-2 (janvier 2016) et SNE-3 (mars 2016), quant à eux, font respectivement état de 8000 et 5000 barils journaliers. Le forage du puits SNE-4 est en cours depuis le 18 Avril dernier.

Il devra nous rester en tête que ces richesses pétrolières nous ont été données après une richesse d’une plus grande valeur : une Nation Sénégalaise, bâtie sur les efforts de nos Devanciers et qui nous a permis de vivre en toute harmonie, malgré le manque de moyens financiers. Tous les puits de pétrole et mines du monde ne parviendraient jamais à réaliser notre Cohésion nationale dont chaque Sénégalais(e), à juste titre, peut se réjouir. Évidemment, notre Dignité serait fatalement atteinte si à cause de gisements et des appétits qu’ils déclenchent dans les marchés et milieux d’affaires internationaux nous en arrivions à nous disputer ou à nous entretuer. Nous vivons, ensemble, dans notre indigence ; l’opulence, donc, ne devra, jamais, nous affoler.

La patience, ou encore la prudence, doit alors nous animer. Elle est impérative en ce que l’exploitation de ces ressources exige des investissements et une expertise dont je doute que nous disposions à ce jour. Cependant, là n’est pas raison pour nous jeter dans les mains des multinationales qui probablement afflueront dans notre Pays avec des contrats inéquitables nous condamnant à subir impuissamment le pillage de nos ressources, sur une durée pouvant aller jusqu’à 45 ans selon l’article 27 de l’actuel Code pétrolier datant de 1998 (7) : n’est-ce pas déjà le cas avec notre poisson et les bateaux européens ?

La délivrance des permis de recherche doit déjà passer sous le contrôle de notre Pouvoir Législatif et ouvert au débat public. Car aucune loi ou configuration du marché ne doit jamais nous faire accepter que les Sénégalais ne soient pas les premiers bénéficiaires de leurs ressources. La répartition des parts dans les premiers contrats annonce déjà les couleurs d’une capacité de négociation à développer. L’esprit de construction de l’actuel Code pétrolier était surtout celui de l’attraction. Désormais que nous sommes de fait un Pays attractif pour l’Industrie des hydrocarbures, la révision de ce Code, ou l’adoption d’un nouveau, de même que celle du Code Général des Impôts sur les sociétés d’hydrocarbures, sont un impératif.

Tout l’enjeu consistera à accroître nos parts de production — un modique 10% d’intérêts indivis présentement pour Petrosen —, tout en obtenant des exemptions pour les financements des opérations — Si déjà l’État sénégalais ne contribue pas dans la phase de recherche, il peut bien, pendant la phase d'exploitation, chercher à ne contribuer que pour la moitié, le tiers, le quart, de ses parts. Ces leviers sont les principaux à notre disposition pour ne voir que les profits des multinationales surpassent les revenus pétroliers de tout un État. La négociation et la signature des contrats sont donc les étapes fondamentales au cours desquelles notre Pays doit mobiliser tout ce qu’il dispose de compétences activistes, économiques, juridiques et législatives.

Par ailleurs, parallèlement aux dispositions de l’article 53 du Code pétrolier obligeant les autres Parties à contribuer à la formation des Cadres et Techniciens Sénégalais, l’État doit d’ores et déjà faire du transfert de connaissances — tout s’apprend et nous avons une Jeunesse pour — et de technologies — tout s’achète — une de ses priorités afin que, dans le moyen-terme, notre Pays soit apte à conduire l’essentiel de ses opérations pétrolières — d’où l’intérêt de ne pas délivrer des permis de recherche en toute frénésie.

La formation de nos Compatriotes et l’obligation de leur recrutement dans le personnel supérieur — avec des pourcentages clairement définis — de toutes les entreprises sont d’autant plus indispensables que nous connaissons déjà l’inacceptable réalité à Sabodala où, en 2014, 10% de Travailleurs expatriés se sont partagés 45% de la masse salariale destinée au 90% de Travailleurs Sénégalais (8). Signer de bons contrats signifie en tirer le plus grand nombre d’avantages légitimes et non nous retrouver à nous réjouir que les autres Parties acceptent d’honorer les Responsabilités sociales de l’entreprise dont la valeur est infinitésimale par rapport à leurs profits. À la place de leurs dons d’hôpitaux, d’écoles ou de kilomètres de bitume, cherchons à prétendre et faire respecter nos droits. Dès la base.

Enfin, la transparence, ici, s’impose comme une mesure de sécurité. Les premières tensions viennent toujours du fait que les Citoyens sont souvent maintenus dans l’ignorance la plus totale de la passation des marchés, des textes juridiques en vigueur, des sommes récoltées et de l’usage fait de celles-ci. Tout ce qu’elles voient, et qui les autorise à se lancer dans les spéculations, est qu’il y a un partage, sous le couvert du droit et de la force de l’autorité publique — l’actuel Code confère au Ministère des attributions considérables en la matière dont il faudra s’assurer qu’il les honore dans les règles de l’art —, auquel elles n’auront pas été conviées. De nombreuses élites, à travers le monde, se sont constituées en de véritables gangs à la tête de leurs États riches en ressources naturelles, mais dont les Populations survivent dans les plus honteuses conditions.

Tout l’argent issu de l’exploitation de ces ressources dort dans des comptes bancaires ouverts dans d’autres États, eux-mêmes « attachés à la Bonne Gouvernance », qui attendront les premiers conflits pour geler les avoirs qui s’y trouvent, sans l’intention de les restituer aux États dépouillés. Et le plus déplorable est que, pendant que les conflits sont déclenchés, ces États ont déjà affrété des avions pour leurs Ressortissants et laisseront les Populations victimes et leurs élites se dévorer entre elles…pour revenir « quand la situation sera moins chaude ». Tout Gouvernant Sénégalais, en charge des Intérêts et du Devenir de notre Nation, de la Santé de notre Population et de notre Environnement, doit catégoriquement refuser de spolier sa Patrie ; ou de se faire le complice d’individus et d’États à la quête de profits et prêts à tout pour assouvir leur cupidité.

L’argent que nous vaudra l’exploitation de ces « importantes ressources de pétrole et de gaz » pourra, dès lors, avoir une utilité. Même s’il ne nous permet pas de résoudre tous nos problèmes — car, il faut le dire, nous en avons beaucoup —, il devra nous aider à développer notre Agriculture, à garantir l’électricité courante pour tous, à résorber notre chômage, à reconstruire notre système éducatif, à accorder des droits sociaux à nos Populations qui n’en ont presque aucun, à veiller sur notre Environnement, et à mieux contribuer dans le financement de nos Institutions Régionales et Panafricaines. Cette énumération, volontaire et non exhaustive, veut simplement dire que le Sénégal ne manque de secteurs en besoin de financements et que ces ressources doivent y contribuer à leur juste valeur. Qu’elles soient détournées ou dilapidées, et notre Nation ne fera pas l’exception : elle tombera dans le chaos des violences sans fin.

Ce que nous ne pouvons nous permettre. Veillons donc à exploiter ces ressources avec retenue ; demeurons vigilants dans notre collaboration avec les multinationales, d’où qu’elles viennent, parce que s’il est vrai que ceux sont elles qui ont le capital et la technologie aujourd’hui, il reste que le souci de leurs profits est plus grand que tout autre, malgré leurs efforts — d’ailleurs contraints — de paraître différentes ; attelons-nous dès à présent à nous rendre autonomes avant qu’elles n’aient une emprise totale sur nos ressources ; restons fermes pour leur faire respecter nos Citoyens, notre Environnement ainsi que les faire payer leurs obligations fiscales au centime près; et enfin, quand entreront les revenus, ne tergiversons pas sur notre obligation de les scrupuleusement redistribuer au sein de la Population afin que nous demeurions un Peuple — Uni —, avec un But — Prospérer — et une Foi — dans la Dignité et la Solidarité.

(1) Voir ici.

(2) Voir ici.

(3) Voir ici.

(4) Voir ici.

(5) Voir ici.

(6) Voir ici.

(7) Voir ici.

(8) Voir ici ou ici.


Photo de couverture : © Zukiman Mohamad

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