Langues de perroquet
Dernière mise à jour : 13 nov. 2023
à F. Tchouli-Wandji,
qui m’a informé de la nouvelle initiative de M. Diop
Je ne reproche rien à la langue de quiconque. J’aurais parlé les langues de toutes les Nations si j’en avais le pouvoir. Ce que, par contre, je trouve absurde et humiliant, est qu’on accorde à des langues anciennement coloniales que, pour ma part, je ne reconnais pas comme faisant partie de notre patrimoine culturel, une autorité sur nos propres langues: elles sont celles qu’institutionnalisent nos Constitutions, celles des enseignements, celles des élites et de l’intimidation.
On leur procure tous les soins, œuvrent à leur rayonnement, alors que les nôtres se vident de leurs vocabulaires et peinent à disposer même d’un simple système alphabétique.
Des personnalités se sont déjà investies pour freiner cet impérialisme culturel. Au Kenya, l’Écrivain Ngugi wa Thiong’o fait référence. Au Sénégal, à l’instar des figures de Cheikh Anta Diop et Cheik Aliou Ndao, Boubacar Boris Diop et ceux qui ont eu la chance de lui ressembler poursuivent cette entreprise. Le dernier projet de Monsieur Diop, Céytu (1), une naissante collection mise en place par Zulma et Mémoire d’encrier, dont le projet est traduire en wolof des classiques de la littérature francophone, s’inscrit dans cette dynamique. D’où la preuve qu’il reste des Intellectuels de qui l’Afrique peut encore espérer.
Il ne suffit pas de saluer une telle entreprise et de se limiter là. En tant que Citoyen africain, nous devons chacun cultiver en nous la honte de mieux parler le français, l’anglais, le chinois, que les langues de notre Pays. Chacun doit cesser de réprimander son Enfant lorsqu’il commet une faute dans les premières langues et, en retour, n’absolument rien lui dire lorsque l’Enfant commet de pires fautes dans sa propre langue.
Au terme de cette année universitaire, s’il se trouve que je poursuive quelques activités littéraires, elles seront en wolof. Je me suis déjà procuré la Grammaire du wolof contemporain de Jean Léopold Diouf, pour apprendre ma langue comme il se doit. Aussitôt que je la maîtriserai, je passerai à une autre langue parlée dans mon Pays ou dans mon Continent et ainsi entrer dans leur intimité et m’enrichir de leurs philosophies. Certes, lorsqu’on étudie Serigne Moussa Ka, on ne peut pas fantasmer sur Baudelaire; lorsqu’on lit Doomi Golo ou Goneg nit ku ñuul gi, la traduction de L’Enfant noir de Camara Laye, on se demande pourquoi de tels livres n’existent que maintenant ou étaient demeurés hors de notre portée.
Sur le plan politique, il faudra se battre pour mettre en place des institutions en charge de la standardisation des langues nationales et étendre leur enseignement à tous les établissements, publics ou privés, de la maternelle à l’Université. À terme, les langues anciennement impériales, lesquelles ne sont pas parlées par le grand nombre de nos Populations, auront dans nos salles de cours leur statut naturel: langues étrangères, bonnes et utiles à connaitre. Pas plus.
Francophiles, francophones ; anglophiles, anglophones ; germanophiles, germanophones… tout ceci est bien beau: sauf quand cela transforme des États entiers en des perroquets s’efforçant de se convaincre qu’ils ne le sont pas au motif que le français de Dakar ou de Kinshasa serait diffèrent de celui de Paris. Entre un français approuvé par les Immortels de l’Académie et un français dit tropicalisé, je choisis de parler les langues de mon Pays et de mon Continent.
Ce n’est pas là une question de rejet ou de divorce, mais bien un service que je rends aux autres langues en leur apprenant qu’elles n’auront la légitimité d’être enseignées dans nos salles de cours que si elles font de la place à nos langues ; que si elles passent après nos langues. Tant qu’on n’en est pas là, qu’on ne vienne pas me parler de brassage et de cohabitation des langues. Ce serait une duperie trop grossière pour s’arracher mon consentement.
Bonne semaine de la Francophonie.
(1) Voir ici.
Photo de couverture : © christianpackenius